Mon allocution à La Sorbonne, lors du colloque, Léopold Sédar Senghor, une pensée pour demain

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Madame la Secrétaire perpétuelle de l’Académie Française, Chère Héléne Carrère d’Encausse,

Madame la Vice-présidente de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Madame Camille Sanilesi

Monsieur le délégué général à la langue française et aux langues de France, Cher Paul de Sinety, 

Monsieur le Président de l’association « Francophonie sans Frontières », cher Benjamin Boutin,

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, 

Mesdames et Messieurs, en votre titres et qualité 

Chers amis francophones, 

C’est avec plaisir et intérêt que je participe à ce colloque qui porte un thème évocateur : Léopold Sédar Senghor, une pensée pour demain. 

Un plaisir d’abord parce qu’il est organisé par une association au nom tout aussi évocateur : Francophonie sans frontières, présidée par Benjamin Boutin qui est aussi mon collaborateur parlementaire. Permettez-moi de saluer sa détermination et celle de toute son équipe pour faire rayonner la francophonie au-delà des instances officielles. 

Il n’est pas rien, en effet, pour une association, de rassembler autant de personnalités venues de tout horizon avec un panel d’intervenants de qualité mais surtout des tables rondes qui couvrent avantageusement l’œuvre de Léopold Sédar Senghor. 

Rappelons-nous que la dernière grande conférence autour du père fondateur de la Francophonie s’est déroulée en 2006 à l’Assemblée nationale. Elle avait été organisée, à l’époque, par la section française de l’APF à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor. 

Aujourd’hui, c’est donc une jeune association qui rend hommage non seulement à l’homme, à la veille du 20ème anniversaire de son décès mais surtout à sa pensée politique, non pas de façon nostalgique d’un temps révolu, mais au contraire comme une perspective d’avenir. 

Et le ton est donné dans ce bel édito avec un titre qui ne laisse pas de place au doute : Senghor toujours vivant ! Voilà ce à quoi vous nous invitez. Je vous en remercie. 

Ce colloque témoigne pour moi du dynamisme et de la détermination de la société civile à s’approprier l’idée même de Francophonie pour faire émerger cette communauté francophone tant rêvée par Léopold Sédar Senghor. Et je suis heureux de retrouver Marie-Béatrice Levaux qui, au CESE, porte cette volonté d’une francophonie ouverte sur la société civile. 

Nous pouvons tous nous en féliciter. En tant qu’élu ou acteur institutionnel, il nous appartient d’encourager ces mouvements qui proposent la Francophonie comme une réalité humaine, politique et culturelleIls font vivre la Francophonie au quotidien, dans les associations, les entreprises et les collectivités. Ils la font se développer dans les cœurs et dans les esprits. C’est la seule marche à suivre pour construire la Francophonie des peuples. 

Si Senghor n’a pas inventé le mot Francophonie que nous devons au géographe Onésime Reclus, il y a particulièrement réfléchi. Il en a été l’un des pères fondateurs avec ses homologues tunisien, Habib Bourguiba et nigérien, Hamani Diori, ainsi que le Prince Norodom Sihanouk du Cambodge. 

Mais Léopold Sédar Senghor a surtout été l’artisan de la mise en place de l’architecture institutionnelle de la Francophonie. 

Le 17 mai 1967, l’Association Internationale des parlementaires de langue française est créée. Elle est devenue l’Assemblée parlementaire de la Francophonie en 1998. 

Avec ses 90 Parlements, l’APF est l’expression politique que Senghor est toujours bien vivant puisque nous parlementaires avec nos sections, nous sommes le fruit de sa création. Grâce à lui, la francophonie institutionnelle, ce sont d’abord les parlements.

Trois ans plus tard, en 1970, Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf se penchent sur les traités qui ont donné naissance à l’Agence de Coopération Culturelle et Technique qui deviendra l’agence intergouvernementale de la Francophonie puis, en 2006, l’Organisation Internationale de la Francophonie.

Vous pouvez donc constater que la francophonie institutionnelle est récente dans l’histoire de la langue française qui, comme vous le savez, a été rendue officielle dans les actes administratifs en 1539 par les ordonnances de Villers Cotterêts. 

Mais s’il y a les institutions, c’est surtout le cheminement intellectuel et philosophique, et certainement aussi spirituel, qui a donné naissance à la Francophonie qui est intéressant. 

Il a permis de poser un véritable projet politique au service de la solidarité, du développement et du rapprochement entre les peuples.

Rassurez-vous, je ne m’aventurerai pas dans un long discours qui rappellerait tout ce que nous devons à Léopold Sédar Senghor. D’autres le feront certainement mieux que moi tout à l’heure.  

Mais permettez-moi seulement de rappeler, et d’insister sur la conviction politique majeure qu’il nous laisse en héritage et qui n’a toujours pas été mise en œuvre : seul le respect de la diversité culturelle permettra d’atteindre la civilisation de l’universel. Reconnaissons-le, si des progrès et des avancées ont eu lieu, il reste beaucoup à faire.

Cette conviction politique qui l’a animée toute sa vie reposait à la fois sur un rêve de liberté́ pour l’Afrique et son attachement à la langue, la culture française.  Pour concilier les deux, il a alors prôné l’égalité des droits et notamment à l’Assemblée nationale. 

Comme vous le savez, il a été élu par trois fois député du Sénégal, de 1946 à 1958. Brillant orateur, aux discours précis et empreints de très grande culture, Léopold Sédar Senghor n’a eu de cesse de vanter les avantages d’une alliance de tous les peuples d’Outre-mer jusqu’à l’évidente nécessité de l’indépendance. 

Il l’écrivit lui-même en 1988 « C’est ainsi que, pendant les quinze années de mon mandat, renouvelé, j’ai continué de me battre, et pour la Négritude, et pour la Francophonie ».

Pour Senghor, les deux concepts ne sont pas antagonistes et se font écho. Il s’agit d’abord et avant tout de la promotion et du respect de la diversité culturelle.  C’est l’éloge de l’« l’ensemble des vertus du monde noir et des qualités de la civilisation négro-africaine » des peuples d’Afrique pour la négritude et celui de la langue et culture française pour la Francophonie. 

Son attachement à la francité fait aujourd’hui l’objet d’analyses et de controverses. On lui fait aussi le reproche de ne pas été suffisamment radical contre la colonisation et contre les colons.

Pourtant, à travers cet attachement au respect de la diversité culturelle, c’est bien à l’édification d’une civilisation de l’universel à laquelle nous convie Senghor. Et pour lui, si une seule culture est niée, c’est toute la force de convergence vers cet universel qui se trouve empêchée.

Et c’est là que réside toute l’originalité de la pensée de Senghor. Pour lui, « la Francophonie est d’abord culture pour reprendre le titre d’un article paru en 1968, « pour mieux s’armer contre l’hégémonisme, la déculturation, la déperdition, le doute, la peur, la démission. « Tout est culture. Le reste n’est qu’économie ». Voici ce que vous nous avez appris cher poète » rappelait encore Amadou Lamine Sall lors de son hommage à Senghor en 2020. 

Pour autant, il ne faudrait pas réduire la pensée de Senghor à une utopie ou une vision poétique de l’humanité. Senghor ne fut pas seulement poète mais aussi soldat, professeur, philosophe et homme d’État.  Président du Sénégal, il avait une conception du monde profondément humaine.

Voilà donc le message essentiel de Senghor et à quoi nous devons nous attacher pour poursuivre son œuvre et atteindre l’universalité à laquelle le monde tend encore maladroitement. 

Ce colloque nous permet donc, 20 ans après sa mort, de mesurer le chemin parcouru mais aussi celui qu’il reste à parcourir.

Tout le monde est aujourd’hui conscient que le nom de Senghor restera intimement lié à la Francophonie. Ce colloque démontre aussi qu’il reste le lien entre les institutions et les peuples.

Mais il sera aussi présent à l’intérieur de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts qui ouvrira en 2022. Sa voix y résonnera à l’intérieur alors que son image accueillera les visiteurs. Le président de la République a en effet donné son accord pour que son buste soit installé dans la cour d’honneur du château. 

 A Verson, un projet autour de sa maison est en cours, qui prolongera sa vie et son œuvre. Madame la maire, Nathalie Donatin, en évoquera les contours tout à l’heure. 

Sachez, Madame, que l’APF serait ravie d’aller la visiter et pourquoi pas y organiser un événement institutionnel, en hommage au père fondateur des institutions de la Francophonie. 

Mais si aujourd’hui personne ne peut nier que la Francophonie est devenue une réalité politique, personne ne peut nier non plus qu’elle a encore des progrès à faire pour s’épanouir sur la scène internationale et faire davantage entendre sa voix riche de sa diversité.

Il nous faut alors assumer notre spécificité et promouvoir la diversité linguistique et culturelle, non pas comme un accessoire mais comme l’axe central de tout projet politique, social, économique et environnemental. 

Et j’aime rappeler les mots de Senghor qui affirmait : « La Francophonie ne s’oppose pas, elle se pose pour coopérer ». A travers ces mots, c’est la recherche permanente du dialogue et du respect avec tous qui est exprimée. 

C’est pourquoi, pour nous, promouvoir le multilinguisme c’est promouvoir le multilatéralisme. L’un ne va pas sans l’autre. Ne pas le comprendre, c’est ruiner tout espoir de solidarité, de fraternité et de paix dans le monde. 

La diversité culturelle appelle en effet au respect de l’égalité des Droits universels et à la solidarité humaine : accès équitable aux vaccins, au numérique, aux fichiers d’état civil, à l’éducation, à l’égalité femmes-hommes…

La prochaine présidence de l’Europe par la France nous offre une opportunité unique pour rétablir l’équilibre linguistique qui s’est rompu ces dernières années au profit de la langue anglaise.  Dans le cas contraire, cela reviendrait à nier la diversité des 19 pays de l’Union européenne, membres ou observateurs de l’Organisation Internationale de la Francophonie qui revendiquent le multilinguisme, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde ! 

Cela permettrait aussi d’engager la mondialisation vers une troisième voie pas encore empruntée, celle du respect des aires linguistiques pour mettre enfin en place un cadre de dialogue efficient au sein de la communauté internationale. 

Comment pourrait-on d’ailleurs accepter que le projet européen « post brexit », puisse continuer de s’écrire encore et uniquement en anglais ? 

Cette hégémonie linguistique mine enfin toute véritable réalité humaine d’une communauté francophone forte et déterminée à assumer un passé commun et à partager une promesse d’avenir. 

Cette promesse d’avenir, c’est celle de la culture et de la création avec, par exemple, le vêtement créé en hommage à Senghor de Ousmane Ouedraogo que vous présenteront François de Beaulieu, Benjamin Boutin et Sarah Wallbaun. 

C’est aussi le festival du film francophone au Burkina Faso. Et je vous invite à ne pas louper « la Traverse », le film d’Irene Tassembedo ou encore « Freda », un film haïtien. Ces deux films de taisent pas les difficultés de vie mais montrent aussi cette foi en l’avenir et de leur pays. 

C’est encore ce clin d’œil très fort à Léopold Sédar Senghor avec l’obtention du plus prestigieux prix francophone par Mohamed Mbougar Sarr pour son livre : « La plus secrète mémoire des hommes ». 

Certes, cette récompense est d’abord un hymne à la littérature mais elle entraine la fierté culturelle de tout un pays et d’un continent telle que voulait la développer Senghor. 

C’est un message fort à la jeunesse. Et comme le dit encore le poète académicien Amadou Lamine Sall, disciple de Senghor : « Puisse le Sénégal ne pas passer sous silence cette haute distinction d’un jeune écrivain sénégalais devenu si grand et qui honore un pays qui ne s’est jamais lassé de donner au monde une créativité prodigieuse !  Oui, Bougar l’a fait et il l’a fait au pays des Grands Blancs dans une langue qui ne leur appartient plus. Senghor l’a prouvé, il y a bien longtemps ! »

Eh bien oui mes chers amis, Senghor est toujours vivant ! 

Vive Léopold Sédar Senghor ! 

Vive la Francophonie !