Mistral : un accord courageux

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Ce débat avec la représentation nationale a permis d’éclaircir cette situation et montre que le Gouvernement ne veut rien cacher, met tout sur la table, comme l’attestent les auditions qui ont été menées par les commissions. Au-delà des effets de tribune, tout ce qui est excessif est insignifiant. J’ai tenu à saluer cette volonté de transparence, qui est un élément incontournable de la démocratie.

L’intervention en version texte :

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi que nous abordons ce matin est certes très important mais, au-delà de l’approbation de l’accord entre la fédération de Russie et le gouvernement français, il constitue à nos yeux un signe de la volonté de ce gouvernement de faire preuve de transparence en ouvrant le débat ce matin dans notre hémicycle.

En effet, au plus fort de la chaleur estivale, la polémique allait bon train sur les conséquences financières et politiques pour la France de la non-livraison de ces deux Mistral. Des chiffres inexacts ou exagérés circulaient dans les médias, certains évoquant même un jour de deuil pour la France.

Ce débat avec la représentation nationale permet d’éclaircir cette situation et montre que le Gouvernement ne veut rien cacher, met tout sur la table, comme l’attestent les auditions qui ont été menées par les commissions. Au-delà des effets de tribune, tout ce qui est excessif est insignifiant. Monsieur le ministre, je tiens à saluer cette volonté de transparence, qui est pour nous un élément incontournable de la démocratie.

Venons-en au fond. Les bâtiments de projection et de commandement font partie de la panoplie d’équipements et de savoir-faire de haut niveau qu’offre notre industrie. Ces fleurons de notre construction navale, produits par la société DCNS, combinent en effet, sur une plateforme unique, les fonctions de porte-hélicoptères, d’hôpital, de transport de troupes, de mise en œuvre de moyens d’assaut amphibie et enfin de commandement.

Intéressée, la Russie a fait connaître à la France, à l’automne 2009, sa volonté d’acquérir deux de ces navires. Dans la perspective de la vente, comme cela a été rappelé, deux accords ont été signés. La livraison d’un premier navire, le Vladivostok, était prévue en novembre 2014 et celle du second, le Sébastopol, en novembre 2015.

Or, entre-temps, il ne faut pas l’oublier, la crise ukrainienne éclatait. Elle commençait en novembre 2013, à la suite de la décision du gouvernement ukrainien pro-russe de renoncer à l’accord d’association avec l’Union européenne, puis elle s’intensifiait avec la révolution de février, l’annexion de la Crimée, la guerre du Donbass et l’attaque du vol MH17, qui a fait près de trois cents victimes, sans oublie les milliers de morts et les millions de déplacés causés par ce conflit.

Le Président de la République annonçait alors, en septembre 2014, que les conditions n’étaient plus réunies pour que la France autorise le premier navire ; un mois plus tard, il était décidé de surseoir à la demande de licence d’exportation. Ce n’est pas faute pour la France de s’être engagée très activement dans les négociations afin de trouver une solution politique à la crise en Ukraine. Certes, il y a eu, depuis, une désescalade dans la crise mais la situation n’en est pas pour autant réglée.

Par conséquent, comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, livrer le Vladivostok et le Sébastopol à Moscou était injustifiable du point de vue de la politique étrangère : Paris et Berlin s’étant engagés dans une médiation entre Moscou et Kiev, y procéder aurait été perçu comme une rupture de la neutralité nécessaire à la négociation.

Au plan européen et euro-atlantique, cet acte aurait également été considéré par plusieurs des alliés européens comme une rupture de la solidarité, et même comme un acte de traîtrise compromettant la position française durablement, d’autant que l’on voit mal comment cette crise pourrait évoluer positivement à court et moyen terme. De fait, l’actualité donne raison au gouvernement français, puisque les accords de Minsk peinent à être respectés, le cessez-le-feu total dans l’est de l’Ukraine n’étant pas acquis. Des morts sont encore à déplorer parmi les militaires et les civils et le retrait exigé des armes lourdes et légères ne fait que commencer. Par ailleurs, des membres de la mission d’observation de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, ont essuyé récemment des tirs et autres tentatives d’intimidation alors qu’il est essentiel de leur garantir l’accès au front.

La livraison de ces bâtiments ne pouvant donc intervenir dans un avenir proche, le Président de la République et son homologue russe ont décidé, en février 2015, d’engager à l’amiable des négociations pour aboutir à un règlement négocié de ce dossier. Ils y sont parvenus. Cela a permis d’éviter une issue contentieuse, forcément longue et plus aléatoire quant à ses conséquences financières, qui aurait empêché une revente ou un réemploi rapide des navires, du moins tant que les voies procédurales ne seraient pas épuisées. En effet, l’accord de janvier 2011 prévoyait qu’en cas de différend relatif à son application, le litige pouvait in fine être soumis à un tribunal arbitral. Deux accords intergouvernementaux, signés début août, ont permis d’aboutir à une solution négociée.

Parallèlement, les entreprises DCNS et Rosoboronexport, ROE, ont résilié le contrat commercial qui les liait via un avenant à leur contrat initial, qui a également réglé la question des contentieux éventuels, entre elles mais aussi avec leurs sous-traitants. L’avenant prévoit en outre la mainlevée des garanties bancaires qui accompagnaient le contrat. Enfin, il fixe les modalités de restitution à la Fédération de Russie des fournitures gouvernementales.

Le présent accord prévoyait dans un premier temps le versement par le gouvernement français au gouvernement russe de la somme de 949 millions d’euros, correspondant à la restitution des sommes avancées par la Russie pour des dépenses occasionnées par la formation des équipages et le développement de matériels spécifiques. Cependant, sur ce dernier point, la partie française a pu faire valoir qu’elle n’entendait rembourser que les dépenses directement liées à la construction des navires, ce qui a réduit le montant du versement à 893 millions d’euros.

La signature du contrat de vente des bâtiments de projection et de commandement a permis aux chantiers de Saint-Nazaire – et cela n’est pas mince d’un point de vue économique –, d’enregistrer des commandes sans lesquelles ils auraient été contraints sinon de fermer, du moins de procéder à un drastique plan social et de perdre ainsi une main-d’œuvre qualifiée. Il faut cependant espérer que la revente de ces navires ne se fera pas au rabais et n’entraînera pas une perte financière significative.

En ce sens, il y a lieu de se réjouir que des discussions se soient déjà, semble-t-il, engagées avec plusieurs États intéressés. Nous aimerions d’ailleurs obtenir, autant que le permet le jeu diplomatique, des indications sur les éventuels pays acheteurs qui auraient les moyens de s’offrir des bâtiments de projection et de commandement de premier rang et des marins bien formés.

Il faut en outre parvenir à surmonter l’opposition des lobbies liés aux constructeurs locaux de navires. Le coût d’entretien à quai de ces bâtiments avoisine mensuellement cinq millions d’euros et leur « dérussification » prend du temps, puisque ces navires sont construits pour répondre précisément aux spécifications de la marine russe. Il faut désormais démonter des équipements, changer les systèmes de télécommunications, les interfaces homme-machine qui sont en caractères cyrilliques et toutes les documentations. Par conséquent, dans la perspective de la revente de ces navires, monsieur le ministre, j’aimerais que vous nous donniez, si vous le pouvez, et bien entendu dans un langage diplomatique, car la situation est compliquée, quelques indications sur les pistes qui nous sont ouvertes.

Par ailleurs, au-delà de la question de la revente, la France elle-même ne manque-t-elle pas de bâtiments de premier rang pour exercer pleinement sa souveraineté ?

C’est une autre question. L’OTAN a-t-elle pu se positionner pour les acquérir ?

Ces questions ayant été évoquées, sachez que, compte tenu des aspects largement positifs de cet accord, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient son approbation.

Si au début de mon propos j’ai tenu à souligner la volonté de transparence qui anime ce gouvernement et qui s’exprime à travers ce débat avec la représentation nationale, je voudrais également souligner la fermeté et l’esprit de responsabilité dont celui-ci a fait preuve, ainsi que le Président de la République, en prenant une décision courageuse malgré les pressions et les polémiques. Aux yeux du groupe RRDP, la gestion de ce dossier international très difficile fait honneur à la politique.

Pour conclure, comme à mon habitude, je veux citer ici Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry, le plus contemporain des philosophes, si l’on en croit le dossier que lui a consacré Le Point cet été. Dans la fable Le Chat et le renard, il écrit : « Le trop d’expédients peut gâter une affaire / On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire. / N’en ayons qu’un, mais qu’il soit bon. » De ce point de vue, la France a fait le bon choix, tant du point de vue politique qu’économique, diplomatique et financier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)