Deuxième rendez-vous de l’observatoire “Langues des Outre-mer : quelles politiques, quels horizons ?”

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Animée par Valelia Muni Toke : Linguiste à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), 

auditionnée par le CESE pour le projet d’avis sur la sauvegarde

des langues des Outre-mer en juin 2019

C’est avec plaisir que je participe à la deuxième rencontre de l’Observatoire organisée par la DGLFLF en partenariat avec le Sénat. Ces rendez-vous nous permettent de nous pencher sur des sujets qui sont certes linguistiques mais dont les problématiques sont hautement politiques. 

Ces rendez-vous de qualité et riche en échange montrent que la langue est un loin d’être un élément accessoire. Bien au contraire.  Elle est le fondement de la cohésion nationale et constitue une structure de la pensée, propre à̀ chacun des peuples dans laquelle chaque nation s’identifie et s’ouvre au monde.

Si le français est la langue de la République, on ne parle pas que le français dans nos territoires. Les 75 langues de France appartiennent au patrimoine culturel et linguistique de la nation française.Dans les territoires d’Outremer, la diversité des langues y est particulièrement riche : 

28 langues pratiquées en Nouvelle Calédonie, 

19 langues en Guyane dont 7 étrangères, 

7 langue en Polynésie… 

En Martinique, en Guadeloupe, à la Réunion,le créole est une composante essentielle de l’identité culturelle des citoyens. 

Et à Mayotte, le français n’est parlé que par 60 % des habitants de l’île. 

Sur les 75 « langues de France » dénombrées en 1999, une cinquantaine sont couramment parlées dans ces territoires. 

La France doit préserver et organisé ce pluralisme, fondement du respect de la diversité culturelle et de l’identité de chaque citoyen. 

Préserver et l’organiser c’est aussi veiller à la spécificité de chacune d’elles, du nombre de locuteurs et de son usage social, culturel et économique

Alors qu’en France métropolitaine le français est la langue maternelle pour la quasi-totalité́ des citoyens, ce n’est pas le cas dans les territoires d’outre-mer.

Pourtant, le français est enseigné aux jeunes ultramarins comme s’il était leur seule langue, en ne tenant pas suffisamment compte de leur situation linguistique. 

Une telle situation revient à leur apprendre à lire et écrire dans une langue que parfois qu’ils ne connaissent pas en entrant à l’école

Pourtant, comme le disait le Professeur Bentolila, en 2011 : « Vous n’apprendrez pas à lire à un enfant dans une langue qu’il ne parle pas»

Des linguistes confirment combien l’accueil et la scolarisation dans la langue maternelle n’apportent que des bénéfices, y compris pour l’apprentissage réussi du français. D’autres relient le taux d’illettrisme élevé́ dans ces départements ( ,deux ou trois fois supérieur) à celui constaté en métropole à cette insuffisante prise en compte du créole à l’école, 

C’est pourquoi il me semble que le thème de d’aujourd’hui : “Langues des Outre-mer : quelles politiques, quels horizons ?” nous permet de nous pencher sur une problématique bien particulière et de tracer quelques pistes de réflexion sur la mise en place d’une politique des langues spécifique dans les territoires d’outre-mer permette de concilier

  1.  la nécessaire maîtrise du français  langue de la République, 
  2. Et la prise en compte des langues d’outremer véhiculaires : un bilinguisme (ou un multilinguisme) équilibré dans les différentssecteurs de la vie sociale sont l’école, la culture, la santé, la justice.
  3. en lien étroit avec les pouvoirs publics des DROM COM qui se trouvent placés devant la nécessité́ de distinguer, dans ces territoires, leurs langues de large diffusion des langues très minoritaires. 

Il me semble que la Constitution, depuis 2003, et Loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 en reconnaissant la spécificité́ des Outre-mer, offrent un levier pour prévoir des dispositions spécifiques en faveur des langues régionales dans les Outre-mer dans les services publics tels que les transports ou l’hôpital … 

La déclaration de Cayenne des « Etats généraux du multilinguisme dans les Outre- mer», de décembre 2011, offre aussi  un ensemble de quatre-vingt-dix-neuf recommandations qui pourraient être mises en œuvre en parfaite conformité́ avec les principes de la République. 

Le respect de la langue maternelle commence bien évidemment à l’école 

L’enseignement du créole est très limitéet plutôt sous la forme d’une langue étrangère. Et ii n’y a que peu d’enseignements de l’histoire ou de la culture locale. 

Dans le secondaire, le créole est placé sur le même niveau et en compétition avec des langues étrangères.

Mais comme le dit Daniel Maximin, romancier guadeloupéen« Ce qui caractérise les outre-mer c’est «l’addition des langues et des cultures» 

Cette affirmation s’apparente à l’essence même de la Francophonie qui valorise le multilinguisme et la diversité culturelle. Or, rien ne sert de parler de diversité culturelle si on ne se préoccupe ni respecte la de diversité linguistique des populations. 

D’ailleurs la Convention de l’Unesco de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité́ des expressions culturelles, affirme dans son préambule que « la diversité́ linguistique est un élément fondamental de la diversité́ culturelle »

C’est vrai que des progrès ont été fait pour le créole. Longtemps dévalorisé, il s’affirme aujourd’hui comme une langue à part entière, dans les médias, dans la littérature et également dans les chansons et les spectacles et renforce par la même le sentiment d’appartenance à la Nation, y compris dans sa dimension plurilingue.

Aujourd’hui le numérique dans les médias et internet offrent de nouveaux espaces de diffusion aux langues régionales. 

L’arrêtFrance Ô à l’été 2020 peut être considéré comme un frein à la diffusion linguistique des langues d’outremer mais  « Pacte pour la visibilité des Outre-mer », signé entre France Télévisions et les ministres de la Culture et des Outre-mer a permis, quatre nouveaux rendez-vous ultramarinsdont un documentaire.

France télévision devrait davantage s’ouvrir davantage en offrant la possibilité aux français métropolitains de bénéficier d’informations générales sur les territoires d’outre-mer au-delà des catastrophes naturelles ou des informations « cartes postales ». Cela permettrait de renforcer le sentiment d’appartenance de la France métropolitaine aux territoires d’Outre-mer, « si français et encore trop souvent si lointains » et réciproquement.  L’APF participera en lien avec la Polynésie française, la nouvelle Calédonie, toutes deux membres de notre assemblée à tous les travaux de réflexions et d’actions en faveur d’un cadre juridique et législatif adaptée au contexte ultramarin. » et souhaite être associée aux États généraux du plurilinguisme, prévus en 2021 à la Réunion, non pas par opportunité mais par engagement de la FRANCOPHONIE tournés vers le la promotion du multilinguisme et de la diversité culturelle comme l’est la créolité définie par Patrick Chamoiseau :  « La créolité́ n’est pas monolingue. Elle n’est pas non plus d’un multilinguisme à compartiments étanches. Son domaine c’est le langage. Son appétit : toutes les langues du monde» dans l’éloge de la Créolité (1989).