Retrouvez ici le discours que j’ai prononcé lors de la Conférence internationale sur l’éducation des filles et la formation des femmes dans l’espace francophone :

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Monsieur le Président de la République du Tchad, Madame la Première dame,
Madame la Secrétaire générale de la Francophonie, Mesdames, messieurs les ministres,
Mesdames, messieurs les parlementaires,
Mesdames, monsieur les ambassadeurs et membres du corps diplomatique, Mesdames messieurs les membres des opérateurs de la Francophonie et de la société civile,
Chers collègues,
Chers amis,
Je mesure l’honneur que vous faîtes à l’Assemblée parlementaire de la Francophonie en m’invitant à prendre la parole en conclusion de la conférence internationale sur l’éducation des filles et la formation des femmes dans l’espace francophone.
La participation de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie à cet événement, qui n’est pas une conférence de plus, est plus que symbolique. Elle témoigne de la nouvelle ambition pour la Francophonie que Madame la Secrétaire générale souhaite mettre en place : une synergie politique commune avec les chefs d’états, les gouvernements, les parlements francophones et la société civile pour apporter plus de cohérence à l’action et une coopération mutualisée pour davantage de visibilité à nos institutions. Et particulièrement dans le domaine de l’éducation et pour l’égalité femme-homme.

L’APF, assemblée consultative de la Francophonie, prendra toute sa part à cette nouvelle dynamique. Soyez-en assurée. Notre participation active à cette conférence le confirme. Permettez-moi de saluer et de remercier les députées Mme Aoua IBRO NA ALLA, Mme Marie Suzanne N’NOLO ONOBRIONO, Mme Néné Marième KANE, Mme Germaine Kouméalo ANATE, députée (Togo) et Mme Annette Lamine ERNESTINE, députée (République Centrafricaine) qui proposeront des actions législatives en lien avec le plan d’actions décidé ensemble, ici, à N’Djamena.
N’Djaména dont le nom veut dire en arabe « nous nous sommes reposés », et cela n’a pas été le cas avec le programme, les interventions de qualité, les pistes de travail nombreuses.
Mais, nous l’avons rappelé, des résultats encourageants ont été obtenus au cours des 20 dernières années et vous avez eu raison de les mettre de l’avant, surtout ici en Afrique et au Tchad. Mais ils ne doivent pas nous faire oublier que les filles par rapport aux garçons restent encore et toujours beaucoup plus nombreuses à être déscolarisées notamment en primaire.
L’état des lieux qui nous a été dressé a montré que la pauvreté, l’isolement géographique, le statut des minorités, les mariages et les grossesses précoces sont quelques-uns des nombreux obstacles qui empêchent les femmes et les filles d’exercer pleinement leur droit à accéder à l’éducation, à mener leurs études à leur terme et à cheminer vers l’émancipation.
Je suis d’autant plus à l’aise d’évoquer cet aspect devant vous aujourd’hui que l’exemple français, en la matière, est instructif à des égards.

Le droit à l’instruction pour les filles date des années 1880 avec les lois de Jules Ferry et s’est construit très lentement.
Rappelons qu’à l’époque :
– Les familles françaises se composaient de nombreux enfants en raison de l’absence de contraception fiable.
– On célébrait la naissance des garçons, l’arrivée de filles était source de déception.
– Le poids de la religion jouait aussi un rôle déterminant dans la vie des femmes en la culpabilisant si elle n’assumait pas leur devoir d’épouse et de mère.
– Sans revenus propres, la femme était dépendante de son mari. Elle devait être
une bonne épouse et mère.
– Les parents pauvres et en milieu rural n’encourageaient pas la scolarité de
leurs filles.
– On craignait que l’école amène les femmes à réfléchir et à devenir des « libres
penseurs»! Elles pourraient braver ainsi l’autorité, et revendiquer de nouveaux droits.
Voilà la situation de la France au XIXe siècle. On y retrouve donc les mêmes freins et obstacles qu’aujourd’hui. Le développement de l’éducation des filles ébranle les schémas socio-culturels de nos sociétés et particulièrement dans nos communautés traditionnelles.
Pour lever ces freins :
– Création des écoles normales dans chaque département pour assurer la formation d’instituteurs laïcs, qui devait avoir un brevet de capacité.
– Instauration de la gratuité dans l’enseignement.
– La France affirme enfin l’obligation pour les enfants de 6 à 13 ans de
fréquenter l’école, et oblige par conséquent tous les parents à scolariser leurs enfants malgré les tâches ménagères ou le travail dans les champs.
Jusque dans les années 20, les matières enseignées dans les écoles sont différentes :
les sciences pour les garçons, lettres et couture pour les demoiselles…
Il faut attendre 1924 pour voir l’unification des programmes pour les filles et les
garçons dans le secondaire et l’autorisation pour elles de passer le baccalauréat.
En 1938, les femmes ont droit de s’inscrire à l’université sans l’autorisation de leur mari ! (Suppression de l’incapacité civile).
Quels enseignements peut-on tirer de l’expérience française :
Premièrement, le cheminement vers un système éducatif qui tend vers l’égalité du genre a mis plus d’un siècle. Mais si cela prend du temps il est la finalité de choix politiques forts.
Deuxièmement, si l’égalité à l’éducation se fonde sur une détermination politique,
elle se concrétise souvent par la voie législative.
Troisièmement, le droit à l’éducation pour tous s’articule autour d’une architecture institutionnelle qui met en place une organisation, des méthodes pédagogiques, la formation et l’accompagnement des enseignants.
Mais toute ambition démocratique repose aussi sur les fondements d’un Etat de droit aux fondations solides. La première d’entre elle est l’établissement de l’état civil pour chaque citoyen d’un pays.
Sans état civil, sans acte de naissance, les enfants sont privés d’identité, de scolarité, de protection sociale et sanitaire ; ils sont davantage exposés au mariage forcé, au travail précoce, d’assignation à résidence sans aucune possibilité d’émigration… Pire, ils sont une proie pour tous les trafics : la prostitution, les trafics d’organes, l’enrôlement forcé des « enfants soldats » et parfois le terrorisme.
Les premières victimes de l’absence de certificat de naissance ce sont d’abord les filles. Sans identité juridique, elles ne peuvent pas s’inscrire à l’école et donc reste à la maison ce qui arrange les familles.
L’état civil est l’acte initial de l’organisation de la vie en société, le fondement de la démocratie et la fondation d’un État moderne.
Sans état civil, il est impossible d’établir des statistiques démographiques fiables. Seul le recensement démographique permet de prévoir la planification économique et sociale : combien d’écoles à bâtir ?
C’est pourquoi l’APF, en relai avec l’OIF, s’est saisie de cette problématique et nous proposerons un projet de loi-cadre à nos 87 parlements, membres de notre assemblée. Même si la loi ne règle pas tous les problèmes, elle est un passage obligé qui engage comme vous l’avez fait ici contre les mariages des filles de moins de 18 ans.
L’APF, assemblée parlementaire de coopération, tend aussi vers la réaffirmation du rôle politique des parlements dans une intégration régionale, avec une coopération des parlementaires, pour mieux coordonner nos actions législatives. C’est ce que nous a rappelé ce matin lors de nos échanges Son Excellence Moussa KADAM, 1er Vice- président de l’Assemblée nationale du Tchad.
Aussi, nous devons nous appuyer sur les bonnes pratiques. L’Union africaine s’est engagée par exemple pour « l’élimination des disparités de genre à tous les niveaux de l’éducation. »
Notre espace d’échange doit aussi partager les meilleurs bouquets législatifs des parlements membres en la matière et faire un suivi des réformes, les évaluer, les amender si besoin et en pleine transparence avec nos concitoyens.
Si la détermination politique est essentielle, je sais que les questions de choix budgétaires ne sont pas simples, surtout quand on doit assurer la lutte contre le terrorisme et accueillir des réfugiés.
L’aide internationale est ici un enjeu majeur pour réussir les objectifs fixés et je tiens à remercier tous les bailleurs de fonds : l’Union européenne, la Banque mondiale, l’OIF, l’AUF. Comme j’ai pu le constater moi-même ce matin lors de l’inauguration avec l’IFADEM d’un espace de formation des maitres.
Et là encore, les parlements doivent être associés à la mise en œuvre de l’aide internationale comme nous l’avons fait avec le C.I.P. G5 Sahel. Ils sont les pièces maitresses et des courroies de transmission entre les populations et l’exécutif.
Rechercher les synergies pour être en cohérence entre les politiques, les budgets nationaux et les coopérations multilatérales. Tous cela avec une nécessité de transparence et d’évaluation des actions engagées.
Oui l’égalité femme-homme dans tous ces aspects est un long, parfois douloureux chemin et rien n’est jamais acquis quand il s’agit d’égalité des genres. Il nous faut redoubler d’efforts collectifs pour une égalité réelle entre les hommes et les femmes, pour l’accès à l’instruction, à l’emploi, du point de vue des salaires, de la représentation politique ou de la transmission du patrimoine.
Alors Mesdames, Messieurs, si nous sommes ici à N’Djaména, c’est pour accompagner l’OIF et sa Secrétaire générale à faire reculer toutes les discriminations et particulièrement celles liées au sexe. Et nous réaffirmons que le genre ne doit plus être un pilier de l’identification sociale.
Répétons également que quand les droits des minorités, des plus faibles et des plus pauvres progressent, c’est toute la société qui avance.
Mobilisons-nous pour plus d’égalité et de justice sociale. Comme nous l’avons dit ici, l’éducation pour tous est la seule solution. C’est le message de Simone de Beauvoir. Elle disait : « Il est très difficile à une femme d’agir en égale de l’homme tant que cette égalité n’est pas universellement reconnue et concrètement réalisée ». Et c’est ainsi que, comme le chantait le poète Aragon, la Femme sera l’avenir de l’Homme.
Merci à la Francophonie et au Tchad de rappeler cette perspective. Merci à vous d’en être des militants. Vive le Tchad. Vive la francophonie. Je vous remercie.