De l’ouverture des listes électorales au devoir de vote

0
1919

Je me suis exprimé discussion générale sur la proposition de loi visant à la réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes électorales. J’ai profité de cette occasion pour élargir encore davantage les facilitations du vote pour tous et partout en citant la célèbre phrase d’Abraham Lincoln : “Un bulletin de vote est plus fort qu’une balle de fusil”.

L’intervention en vidéo :

Le compte-rendu des débats :

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour l’examen de la proposition de loi visant à la réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes électorales. Je suis d’accord avec ce que François de Rugy vient de dire avec faconde et pertinence : le problème dépasse le fait que les prochaines élections régionales soient organisées en décembre – ce qui est à l’évidence une mauvaise date –, il est beaucoup plus global.

En France, pour voter, il faut franchir non pas une étape, mais deux : pour participer au scrutin le jour de l’élection, il faut d’abord être inscrit sur les listes électorales. Et, disons-le, l’inscription à la française est un véritable parcours du combattant.

M. François de Rugy. Très juste !

M. Jacques Krabal. Oui, l’inscription sur les listes électorales est chez nous un frein à la démocratie !

À chaque élection, l’équivalent de la population combinée de Paris, Lyon et Marseille, soit entre 7 et 10 % des Français en l’âge de voter, ne peuvent le faire parce qu’ils ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Et c’est sans compter les « mal-inscrits », soit un Français sur quatre environ, inscrits à une adresse différente de leur adresse actuelle et qui, souvent, deviennent des abstentionnistes forcés.

Il existe pourtant des solutions : il serait aisé de généraliser, comme le font nos voisins, l’inscription automatique. D’ailleurs, nous avons réussi à le faire depuis 1997 pour les jeunes de dix-huit ans.

Nous ne pouvons pas ne pas réfléchir à la question de fond, à savoir la lutte contre l’abstention, et nous poser la question : quelle citoyenneté voulons-nous ?

Mes chers collègues, avant d’entrer dans le détail, laissez-moi rappeler la célèbre formule d’Abraham Lincoln prononcée devant le Congrès en 1856 : « Un bulletin de vote est plus fort qu’une balle de fusil. » Oui, voter, c’est lutter contre l’obscurantisme, contre les extrémismes. Voter, c’est favoriser la cohésion sociale, c’est montrer son appartenance à la société, à la communauté nationale. Tel est l’enjeu que nous ne devons jamais perdre de vue.

En vertu de l’article L. 16 du code électoral, le principe en vigueur à ce jour impose aux citoyens qui ne seraient pas inscrits sur une liste électorale de le faire avant le 31 décembre pour pouvoir participer aux élections de l’année suivante. Cette proposition de loi vise à leur permettre de bénéficier d’un délai plus long pour aller s’inscrire, notamment en vue des élections régionales de 2015.

Sans une telle disposition, ces élections se tiendraient sur la base de la liste électorale entrée en vigueur le 1er mars 2015 en fonction des inscriptions faites au plus tard le 31 décembre 2014. Il est évident que ce délai est trop long et que des mesures doivent être prises afin que les électeurs n’aient pas à payer le prix de ce décalage du calendrier. Ainsi, nous éviterons qu’un certain nombre d’entre eux se voient privés d’exercer ce droit fondamental qu’est le droit de vote.

La proposition de loi revient de façon exceptionnelle sur la procédure de révision annuelle des listes électorales prévue à l’article L. 16 du code électoral. Il s’agit de prolonger le délai d’inscription sur les listes électorales jusqu’au 30 septembre 2015. La dérogation permettrait également aux mineurs ayant atteint l’âge de dix-huit ans au plus tard la veille de l’élection de pouvoir voter.

Cela concerne également les personnes ayant retrouvé le droit de vote après le 31 décembre 2014. Si cette mesure est considérée comme insuffisante en tant que telle, elle est néanmoins bonne.

Techniquement, elle permettra de donner la possibilité à un plus grand nombre de citoyens de participer aux élections régionales de 2015 et de laisser un délai de deux mois aux commissions administratives pour effectuer les opérations de radiation et d’inscription en vue de l’établissement définitif des listes électorales en vue de ces élections.

Clôturer les listes électorales plus d’une année avant l’ouverture des élections serait un non sens civique quand près de cinq millions de Français déménagent chaque année.

Certes, il existe – vous en avez parlé – des dérogations prévues à l’article L. 30 du code électoral permettant à certaines catégories de personnes de pouvoir s’inscrire sur les listes en dehors des périodes de révision. Il s’agit notamment des personnes ayant dû déménager pour des raisons professionnelles, personnelles ou familiales.

C’est à ce problème que répond la présente proposition de loi, et à rien d’autre. Mes chers collègues, c’est simplement de bon sens ! Ceux qui y voient autre chose se trompent. Tout ce qui peut favoriser le vote, donc faire reculer l’abstention, est bon pour la démocratie ! C’est pourquoi nous avons trouvé la polémique qui a, de temps à autre, accompagné le parcours de cette proposition de loi complètement déplacée.

Il ne s’agit pas de savoir pour qui pourraient voter ceux qui ne sont pas encore inscrits, mais de tout faire pour qu’ils aillent voter. Je vous rappelle que le taux d’abstention s’est élevé à 57 % lors des élections européennes et à plus de 50 % lors des dernières élections départementales.

Bien que l’objectif initial poursuivi par la proposition de loi ne soit certes pas – vous l’avez dit, madame la rapporteure – de répondre à la crise globale de l’abstention mais de faciliter la procédure d’inscription, nous considérons qu’il s’agit un bon signal envoyé aux citoyens afin de leur permettre de se rendre aux urnes.

Mais pourquoi réserver cette mesure aux seules élections de décembre ? Nous sommes en effet très favorables à ce que ces mesures soient applicables à l’ensemble des élections, ce qui va dans le sens des préconisations du rapport que vous avez cosigné, madame la rapporteure, avec M. Jean-Luc Warsmann.

M. Pascal Popelin. Nous aussi.

M. Jacques Krabal. Toutefois, nous pouvons nous interroger sur la nature trop contraignante du délai qui est actuellement prévu dans le code électoral. À titre d’exemple, la Grèce a réussi à organiser un référendum sur son territoire en neuf jours. À l’heure de l’informatique et du numérique, comment est-il possible que l’on ne puisse pas s’inscrire sur les listes électorales de manière continue et à tout moment ?

Dans la plupart des démocraties, l’inscription sur les listes électorales n’est pas de la responsabilité des individus, comme en France, mais de celle de l’État : chacun, à tout moment de sa vie, y est inscrit d’office. Même dans les pays où, comme en France, l’inscription n’est pas automatique, la procédure est, en général, nettement moins fastidieuse.

Un projet de réforme entraînant des modifications pérennes irait dans le sens du souhait formulé par le Président de la République le 30 octobre dernier – dans le cadre du choc de simplification destiné à simplifier la vie des Français – visant à permettre l’inscription sur les listes électorales jusqu’à un mois avant un scrutin. « J’ai demandé au ministre de l’intérieur de conduire ce chantier avec les maires, pour qu’aucun Français ne soit privé de son droit de vote à cause de la rigidité des règles […] On doit pouvoir s’inscrire sur les listes électorales un mois avant le scrutin et je pense que nous devons aller, là-dessus, jusqu’au bout ».

Il est donc prévu, dans la continuité de ce qu’a dit le Président de la République et que vous avez rappelé, madame la secrétaire d’État, d’aller plus loin. Sachez que nous le souhaitons, et que vous pouvez compter sur nous pour cela.

Selon nous, il faut généraliser l’inscription sur les listes électorales mais aussi – il s’agit là d’un pas supplémentaire à propos duquel nous devrions d’ores et déjà engager une réflexion – rendre le vote obligatoire.

Le droit de vote, c’est l’arme la plus sûre de la démocratie.

Mme Elisabeth Pochon, rapporteure. Très bien.

M. Jacques Krabal. Cessons d’en priver celles et ceux qui vivent parmi nous et que certains stigmatisent !

Mme Elisabeth Pochon, rapporteure. Excellent.

M. Jacques Krabal. Le droit de vote pour toute personne vivant en France de façon légale depuis dix ans est devenu une nécessité. Nous avons le devoir de dire à celles et ceux qui partagent notre vie qu’ils sont des nôtres. Un droit, c’est aussi un devoir.

M. François de Rugy. Très bien !

M. Jacques Krabal. En s’érodant, le droit de vote devient une arme qui se retourne contre la démocratie et contre la liberté.

S’il faut une profonde réforme de la pratique politique, nous devons également tout faire pour que nos concitoyens s’intéressent à la vie sociale dans laquelle ils s’inscrivent, afin qu’ils en redeviennent les acteurs.

C’est là le préalable nécessaire pour rompre avec l’individualisme et rétablir le vivre ensemble. Pour retrouver la confiance, nous devons nous appuyer sur le peuple et ne pas avoir peur de lui.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Très bien.

M. Jacques Krabal. Je suis de ceux qui pensent que la démocratie représentative a montré ses limites et qu’il est impératif de promouvoir la démocratie participative.

Le civisme et la citoyenneté ne sont pas que de simples mots – je sais, madame la secrétaire d’État, que vous partagez ce jugement et que vous portez ces fortes valeurs – : ils devraient être le ciment de notre unité nationale. Comment la France, pays des droits de l’homme et du citoyen, peut-elle se satisfaire de ce rejet de la démocratie qui fait son chemin ?

Comme l’a dit Jean de La Fontaine dans la fable Le petit poisson et le pêcheur : « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Nous aurions souhaité aller plus loin, mais le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste est favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)