TTIP : quelle finalité ?

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A l’initiative du groupe GDR, l’Assemblée nationale a débattue sur une proposition de résolution visant à clarifier la situation sur le traité de libre-échange transatlantique. Si nous ne pouvons que nous réjouir de la mise en place d’une traité de libre-échange afin de faciliter l’accès à de nouveaux marchés pour nos entreprises, nous devons rester vigilants. Un tel traité n’a de sens que s’il est uniquement destiné à aller vers le progrès humain pour le plus grand nombre. Je pose donc cette unique question : quelle est la finalité du TTIP ?

L’intervention en vidéo :

Le compte-rendu des débats :

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Mes collègues du groupe RRDP et moi-même nous félicitons de ce que la séance publique permette aujourd’hui de débattre de la proposition que le groupe GDR a eu la bonne idée de nous soumettre, même si nous sommes à trois jours des élections européennes.

En effet, le traité transatlantique et la question du mandat de la Commission européenne semblaient marqués du sceau du secret…

Mme Marie-George Buffet. Eh oui !

M. Jacques Krabal. …et les négociations, comme cela a été dit, se sont déroulées dans l’opacité la plus totale. En tant qu’élu, je revendique le droit à la plus complète et à la plus transparente information sur les sujets qui engagent l’avenir de notre pays et celui de nos concitoyens.

Ainsi, madame la ministre, je me réjouis de la proposition que vous nous avez faite de réunir le comité stratégique de suivi le 16 juin prochain, et de venir débattre le lendemain avec la commission des affaires étrangères. Je suis de ceux qui pensent que tout débat de fond sur un choix de société devrait nécessairement aller plus loin et emprunter la voie référendaire. Pourquoi devrions-nous avoir peur du peuple ?

Mme Marie-George Buffet. Très bien !

M. Jacques Krabal. C’est lui qui nous élit ; c’est à lui que nous devons rendre des comptes puisque nous avons le devoir de légiférer dans son intérêt.

Vous nous avez dit, madame la ministre, que notre économie pourrait avoir des choses à gagner dans les négociations. Vous avez énuméré des données qui nous interpellent, concernant par exemple le fait que les marchés publics américains sont aujourd’hui fermés à 50 % aux entreprises européennes alors que nos marchés publics européens sont, eux, ouverts quasiment à 100 %. Vous avez aussi énuméré une liste de biens qui faisaient l’objet d’une inégalité de traitement en ce qui concerne les droits de douane. Comme vous, je pense que l’harmonisation des échanges conformément aux principes d’équité et de réciprocité nous serait profitable.

Cependant, comme le disait mon collègue Paul Giacobbi en commission, l’expérience prouve que dans nos échanges commerciaux, les États-Unis ont systématiquement fait preuve d’un manque de loyauté et d’un protectionnisme forcené. Ils sont de la plus grande exigence pour ce qui concerne l’ouverture des frontières de leurs partenaires, mais ne ménagent aucun effort pour maintenir les leurs hermétiques à nos exportations. Ce n’est pas faire preuve d’antiaméricanisme que de dire cela : Château-Thierry, la ville dont je suis le maire, a été deux fois libérée par les Américains et possède une Maison de l’amitié franco-américaine ; dimanche prochain, nous célébrerons le Memorial Day. Je ne fais que décrire la réalité de nos relations commerciales : elles sont déséquilibrées et asymétriques au profit de leurs acteurs économiques.

Je ne comprends pas davantage pourquoi nous abandonnons dans ce traité l’idée de préférence communautaire alors qu’elle a son pendant aux États-Unis. Cette question doit être posée dans le débat politique que nous devons mener.

Aujourd’hui, on nous fait de grandes promesses. La Commission européenne nous annonce des chiffres qui donnent le vertige : pour l’Union européenne, les retombées en termes de marchés seraient comprises entre 68 et 120 milliards d’euros, soit une moyenne de 545 euros par an et par foyer. Les échanges augmenteraient de 500 milliards d’euros pour les marchandises et de 280 milliards pour les services, tandis que les investissements bondiraient de plusieurs billions. On se garde toutefois bien d’évoquer le nombre de créations d’emplois, parce qu’on sait bien qu’il n’y en aura pas – ou très peu. À l’examen, ces chiffres n’ont aucun fondement – j’ai cherché si de véritables études existaient en la matière – et ne sont que le fruit de spéculations.

Nous devons regarder la réalité en face. Bien sûr, le « libre-échange » a contribué à l’accroissement des richesses produites dans le monde, mais aussi à celui des inégalités. Aussi, à la lecture des textes, ces accords de libre-échange s’apparentent tout autant à des accords de dérégulation, de libre dumping et, comme il a déjà été rappelé, de suppression des protections collectives. Qui pourrait les accepter en l’état, alors qu’ils visent en fait à abaisser ou à faire disparaître les normes environnementales, écologiques, alimentaires, sanitaires et sociales ? Qui pourrait imaginer que l’Union européenne en imposera à un pays qui n’a signé ni le protocole de Kyoto contre le réchauffement climatique, ni la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle, ni la Convention des Nations unies sur la diversité biologique ni, enfin, les conventions de l’Organisation internationale du travail ? Qui pourrait prétendre que l’Union européenne et les États-Unis seront sur un pied d’égalité quand, dans un grand nombre de domaines comme celui des marchés publics, les accords n’engageraient que l’État fédéral et non les cinquante États américains ?

M. Christophe Caresche. Qu’en savez-vous ?

M. Jacques Krabal. Personne ne pourrait souscrire à un projet qui ne lèverait pas toutes ces ambiguïtés et qui ne mettrait pas tout à plat pour établir les bases nécessaires à un accord bénéfique, parce que juste.

D’autres orateurs ont évoqué l’agriculture. Je suis élu d’un territoire rural, le sud de l’Aisne, où l’agriculture et la viticulture représentent un atout économique essentiel. L’agroéconomiste Jacques Berthelot a étudié les incidences qu’auraient ces mesures de libre-échange sur notre agriculture : des pans entiers de nos cultures et de nos élevages disparaîtraient, sans compter un phénomène de concentration de grande ampleur des exploitations. La concurrence déloyale irait en s’accélérant car les États-Unis mettraient à mal nos AOC telles que le Champagne et d’autres. Voilà ce que dénonçaient les viticulteurs lors de leur dernière assemblée générale à Château-Thierry. Qu’en irait-il de notre viticulture et de notre agriculture s’il était décidé de libéraliser le commerce et les investissements dans de telles conditions ? Et puis, qu’adviendra-t-il des combats que nous avons menés ici même sur les OGM ou encore les gaz de schiste ?

Il faut certes continuer de débattre et de négocier, et je sais très bien qu’à plusieurs niveaux, nous pourrions parfaitement rejeter ce traité s’il ne nous convenait pas – j’espère d’ailleurs que, le cas échéant, il en irait ainsi au Parlement français. À cette heure, toutefois, je ne suis personnellement pas convaincu de la pertinence d’un tel projet au vu de ses fondements théoriques. Si tous les pays du monde adoptaient les mêmes principes économiques, je crains qu’il n’en résulterait que du dumping social, fiscal et environnemental. Nous avons déjà payé !

Je sais bien, et l’on ne cesse de nous le répéter, que l’économie gouverne le monde et que les lois de la rentabilité et du marché constituent une vérité absolue. Portons néanmoins un regard objectif sur les évolutions que le monde a connues depuis un demi-siècle avec l’accélération du libre-échange et de la mondialisation. Il ne s’agit pas de nier l’évolution constante du PIB mondial ou l’augmentation du pouvoir d’achat moyen, et ce malgré l’accroissement de la population mondiale. Nous étions trois milliards il y a cinquante ans ; nous sommes sept milliards aujourd’hui. Or, force est de constater que la faim touche toujours près d’un milliard de personnes. Reconnaissons aussi que les riches sont de plus en plus riches, tandis que les pauvres sont de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux.

M. Christophe Caresche. C’est faux !

M. Jacques Krabal. C’est le cas aux États-Unis comme en France, où il y a de plus en plus de milliardaires.

Alors au-delà de cette réflexion, peut-être un peu simpliste, et du débat autour de ce traité, la question qui nous est posée – et que je me pose à titre personnel – est de savoir si nous devons accélérer ce mouvement. Faut-il plus de business, faut-il plus de mondialisation alors que ce sont en partie les causes de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, avec ce chômage de masse en France comme en Europe ?

Si le débat que nous engageons a pour objectifs d’améliorer ce traité et de mieux prendre en compte l’intérêt de la France et de l’Europe, il ne doit pourtant pas nous empêcher de nous poser les questions de fond. À quoi sert d’intensifier les échanges commerciaux ? Est-ce pour renforcer encore l’ultralibéralisme, les multinationales, leurs dirigeants et leurs actionnaires ? Pour le plus grand profit des avocats d’affaires et des banques ? Pour toujours plus de consommation ? Est-ce cela que nous voulons ?

Je ne le crois pas. Certes il ne s’agit pas de se replier sur soi ou de fermer les frontières, mais le libre-échange se doit d’être juste et équitable. Il doit privilégier le plus grand nombre et profiter à tous. Il ne peut se cantonner à la libre circulation des produits et des capitaux et empêcher celle des hommes. Il ne s’agit pas seulement de partir battu ou de vouloir gagner, comme je l’entends dire ; il s’agit avant tout de savoir pourquoi conclure ce traité, et pour qui ! Un tel traité n’a de sens que s’il est uniquement destiné à aller vers le progrès humain pour le plus grand nombre. Sommes-nous si sûrs que c’est le cas ?

Au-delà de ces questions personnelles qui vont plus loin que le texte ne nous y invite, je pense qu’il est plus que jamais nécessaire de méditer la morale d’une fable de Jean de la Fontaine, « Le renard et le bouc » : « En toute chose, il faut considérer la fin ». (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, écologiste et GDR.)

M. Arnaud Richard. Très bien !