Tribune des députés LREM: pour une nouvelle décentralisation

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Le président des villes contre les élus des territoires : ce serait donc la nouvelle ritournelle que tente d’installer le parti LR depuis quelques semaines.

Regonflés par des sénatoriales mécaniquement favorables et en quête d’une nouvelle virginité en vue d’élections internes, les conservateurs surjouent la carte des enracinés contre les mondialisés. L’image paraît belle à nombre de commentateurs, s’engouffrant dans le simplisme des analyses post-Brexit ou post-Trump qui avaient exacerbé ce clivage. Sauf que cette image confère au fantasme. Tout le monde se rejoint pour constater les inégalités territoriales. Tout le monde perçoit ce décalage croissant entre les métropoles, la ruralité et les territoires intermédiaires, sans oublier l’outremer. Tout le monde constate la fracture numérique, les déserts médicaux, les difficultés de mobilité et d’accès aux services publics. L’exécutif et la majorité sont évidemment conscients de ces réalités. Lors de la campagne, rappelons que notre programme a été construit sur la base d’un diagnostic précis des réalités du pays – la Grande Marche -, qui n’avait pas manqué de mettre en lumière ces difficultés. Accuser le Président de vouloir les accentuer plutôt que les résorber est un non-sens.

Factuellement, regardons la carte électorale du 23 avril dernier : l’homogénéité du vote pour Emmanuel Macron est la plus importante parmi les principaux candidats. Son score est supérieur à 18% dans tous les départements. Il est plus élevé en Creuse qu’à Nice, il est plus élevé dans les Deux-Sèvres ou les Côtes d’Armor qu’à Lille ou Montpellier. Partout le discours progressiste a eu un écho.
Passons aux actes.
La Conférence des Territoires lancée le 17 juillet dernier a fait émerger les grands axes de travail. Il y a d’abord les investissements dédiés aux territoires : la couverture très haut débit fin 2020, le doublement des maisons de santé, les nouvelles pistes d’autonomie pour les collectivités territoriales. Ensuite, le grand plan d’investissement annoncé en septembre fait aussi la part belle aux territoires : 5 milliards pour l’agriculture, 5 milliards pour les transports au quotidien, 15 milliards pour la transition énergétique. Enfin, le tissu économique des territoires ruraux et des villes moyennes étant majoritairement composé d’indépendants, de TPE et de PME, celles-ci ont eu toute l’attention des premières réformes : rénovation du dialogue social, suppression du RSI, baisses de charges, choc de simplification avec l’arrêt de la sur-normalisation et la numérisation des services publics.

Il nous faut repenser les nouvelles relations à instaurer entre l’Etat et les collectivités territoriales mais aussi et surtout entre les collectivités territoriales entre elles. Nous voulons plus d’autonomie et de responsabilisation de celles-ci. Il faut changer la logique actuelle des dotations, trop souvent assimilées à de la perfusion et soumise à son corollaire délétère : le coup de rabot au gré des réductions de dépenses publiques. Il faut plus et mieux contractualiser ces relations, repenser un pacte girondin pérenne et stable au bénéfice de tous. Les économies demandées de 13 milliards d’euros aux collectivités territoriales ne seront pas imposées, elles seront à la main des collectivités en échange de plus grandes libertés : différentiation de la gestion de la fonction publique territoriale, nouveaux transferts de compétence, réflexion sur la recentralisation du financement du RSA… Le suivi de ces contrats sera accompagné d’un système de bonus/malus permettant de récompenser les efforts par un accès facilité aux financements pour investir. Bien entendu, cette nouvelle relation nécessite un dialogue permanent dans le cadre de la Conférence des Territoires pour rasséréner toutes les parties et développer une confiance mutuelle.

L’Agence nationale de la cohésion des territoires sera le guichet unique d’accompagnement des territoires et de simplification.
Ces plans d’investissement et ces contrats de confiance sont deux piliers essentiels.

Nous pensons qu’un troisième pilier est nécessaire pour que l’édifice ambitieux de l’équité territoriale que nous appelons de nos veux soit pleinement efficient et pérenne, il s’agit d’une nouvelle décentralisation. Le Président le 17 juillet nous en a donné l’objectif : « Les villes moyennes ont, quant à elles, à inventer un nouveau modèle de croissance hors des métropoles, s’appuyant sur les avantages sectoriels à un niveau qu’elles peuvent établir mais aussi à construire en lien avec d’autres villes moyennes une politique culturelle, économique, éducative différente. Ainsi, elles construiront une attractivité renouvelée. » La première décentralisation a permis de décloisonner le diptyque Paris/Province vers un triptyque Paris/Métropoles/Ruralité. La création des métropoles régionales a permis de tirer la croissance économique des régions tout en accentuant certaines inégalités territoriales.
L’erreur serait de penser l’aménagement du territoire uniquement sous l’angle de ce nouveau jacobinisme régional, asséchant les territoires au profit des métropoles. Nous voulons ainsi conjuguer l’unité de la République et la diversité de ces territoires, en droite ligne de l’article 1er de notre constitution : “La France est une République indivisible, (…). Son organisation est décentralisée.” Le caractère “indivisible” ayant trop souvent été vu et vécu comme un devoir d’uniformité souvent contre-productif. C’est bien là le cœur de cette deuxième décentralisation à mener.

Dans cette perspective, nous souhaitons faciliter l’éclosion de « métropoles diffuses » associant des communautés territoriales sur des compétences transverses bien spécifiques mettant en évidence tout à la fois leur singularité et leur complémentarité avec les pôles métropolitains voisins. Il ne s’agit pas d’ajouter une couche au millefeuille territorial mais d’une liberté nouvelle de s’associer pour révéler, regrouper et optimiser les forces de nos territoires. Il nous faut admettre que chaque territoire ne pourra pas être bon en tout, partout, tout le temps. Ce n’est pas une faiblesse mais justement une opportunité pour sélectionner les domaines à développer, là où le territoire possède un avantage sectoriel. Il faut développer nos forces là où elles existent, sans se faire concurrence en interne au plan national. Le rôle de coordination de l’Etat via l’Agence de cohésion des territoires est ici important pour fédérer et optimiser toutes les initiatives. Ces associations dans le cadre de métropoles diffuses permettront également de compenser les faiblesses inhérentes aux territoires et d’agir avec équité et discernement plutôt qu’avec uniformité. On en revient ici à l’équité territoriale.

Aujourd’hui le numérique permet cette déconcentration. L’essor du télétravail, de l’économie circulaire et participative, de la télémédecine sont autant d’opportunités et de leviers de croissance pour n’importe quel territoire. L’économie des deux derniers siècles où l’on quittait son village pour aller à la grande ville manufacturer des objets est en profonde mutation. La Silicon Valley nous a montré que la taille des entreprises n’était plus liée à la taille de la ville dans laquelle elles sont. Cupertino ou Palo Alto sont des villages Américains qui ont engendré des multinationales. Les entrepreneurs d’avenir, l’innovation et les start-up sont déjà dans nos territoires intermédiaires, il nous faut créer des écosystèmes pour les aider et les maintenir sur ces territoires.

La droite a beau jeu de s’insurger contre la baisse des dotations (alors qu’elles augmentent dans le budget 2018 !) ou des contrats aidés. Leur incohérence confère ici à la malhonnêteté intellectuelle : n’ont-ils pas eu de cesse de pourfendre les contrats aidés lors de leur mise en place ? qu’ont-ils fait de 2002 à 2012 contre les inégalités territoriales ? N’ont-ils pas soutenu il y’a quelques mois un programme supprimant 500000 fonctionnaires et 100 milliards de dépenses publiques ? Profitant des présidences des associations des maires, départements et régions de France, elle se drape dans des postures et des effets de manche, allant jusqu’à pratiquer la politique de la chaise vide, s’agissant des régions. Le sens des responsabilités est plutôt à chercher du côté de l’Association des Communautés de France qui voit bien le sens de l’intérêt général de ce nouveau pacte girondin de contractualisations. Malheureusement la droite a eu trop longtemps la culture des baronnies locales pour faire sa mutation. Faute d’idées nouvelles, elle ressuscite Maurice Barrès pour se faire le chantre de la France d’hier, du terroir idéalisé. Ne leur en déplaise, hier ne reviendra pas.

Le combat pour plus de justice sociale ne se jouera pas que dans les subtils équilibres à venir concernant notre modèle de protection sociale ou la redistribution de notre fiscalité, il se gagnera également, voire prioritairement dans une amélioration de l’équité territoriale. On ne peut se satisfaire de deux France, de ces deux vitesses, de ces deux électorats. A l’image des USA, où le président Barack Obama, avait atteint moins de 5% de chômage et 2 % de croissance, l’élection de Donald Trump a eu lieu du fait que les campagnes aient voté contre les grandes villes.

La réussite du quinquennat et donc de la France passera par une réparation concertée de nos fractures territoriales.