Libération des camps de la mort : ne pas oublier

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Il y a 70 ans, en cette fin du mois de janvier, l’Armée rouge libérait les premiers camps de la mort. Auschwitz-Birkenau ouvrait les portes de l’horreur, 7000 enfants pouvaient s’en échapper. Auschwitz et les camps de la mort, ce sont plus de 6 millions de vies arrachées par la barbarie nazie, par un Etat meurtrier dont la seule raison d’agir était motivée par une haine destructrice.

Le camp Auschwitz-Birkenau a constitué, dans l’histoire humaine, la plus atroce des expériences, la plus monstrueuse des démarches haineuses d’humains envers d’autres humains. Aucun autre lieu de la destruction ne s’est jamais imposé à la mémoire avec autant d’universalité. D’abord parce que Auschwitz est sans nul doute le plus grand cimetière du monde, le plus grand cimetière de juifs, près d’un million y ont été tués.

Ce sont aussi des Polonais, entre 70 000 et 75 000, des tsiganes du grand Reich, environ 20 000, qui ont été exterminés derrière ces barbelés. Un grand cimetière sans tombe, puisque les corps ont été réduits en cendres.

Il fut le lieu de la déportation de millions d’anonymes, ils étaient juifs, communistes, ou encore homosexuels. Le lieu déportation de personnalités qui ont ensuite combattu pour des idéaux de paix, de justice humaine, de liberté. Simone Veil a été détenue 13 mois à Auschwitz, elle fut libérée le 27 janvier 1945. L’écrivain et philosophe Elie Wiesel, prix Nobel de la paix, fut lui aussi au nombre des déportés dans ce camp, tout comme Pierre Masse, avocat sénateur de l’Hérault, Henri Krasucki, leader syndical de la CGT, ancien résistant polonais juif.

Oui, 1 million 400 000 personnes sont mortes au camp d’Auschwitz, pour l’unique et tellement absurde motif de ne pas répondre aux critères de l’Etat nazi, pour cette seule faute, celle d’être différents, aux yeux de leurs bourreaux.

De retour des camps, ceux qui ont survécu, et on sait dans quelle épouvantable condition ils en sont sortis, n’ont pas cédé au découragement, à la haine ou à l’esprit de vengeance. Non, tout au contraire, des femmes et des hommes, victimes de la barbarie nazie ont choisi de mener le combat le plus juste qui soit, celui de la mémoire et de l’espoir. Nous marquons cette année le 70ème anniversaire de la capitulation sans conditions de l’Allemagne nazie, celui de la fin de la guerre et de la libération des camps, mais aussi le 70ème anniversaire de la création de la FNDIRP.

La Fédération Nationale des Déportés Internés, Résistants et Patriotes porte depuis 1945 la voix des rescapés, elle porte la mémoire des victimes et de leurs familles, quelles que soient leurs convictions philosophiques, politiques ou religieuses. Saluons l’engagement et la mémoire de ces artisans de la mémoire, qui, jour après jour et inlassablement, agissent pour que le « plus jamais ça » de nos déportés soit une réalité.

Je voudrais que nous ayons aujourd’hui une pensée pour François-Xavier Estruch, pour Michel Rudloff, pour Catherine Digard et pour toutes celles et tous ceux, membres associatifs, enseignants, citoyens, qui portent le message de la paix et du respect humain. Je n’oublie pas non plus ceux qui n’osaient pas témoigner ni parler de ce qu’ils avaient vécu. Je pense à messieurs David, Alexandre, Coeuret ou encore Bayard, ils m’ont légué des témoignages que je n’oublierai jamais et c’est pour dénoncer la barbarie que nous sommes là, mais c’est aussi leur rendre hommage à eux personnellement, et c’est encore pour se souvenir de toutes ces victimes dont les noms sont inscrits dans la pierre.

Au-delà des prises de position idéologiques, au-delà des différends qui peuvent nous opposer, au-delà de l’esprit partisan ou des ambitions personnelles, il est de notre devoir impératif d’œuvrer ensemble pour que les errements de l’histoire ne se reproduisent pas.

Ce combat que mènent les porteurs de la mémoire, et je salue ici Jean-Marc Debrus-Ridet qui agit pour les Oubliés de la Mémoire, il doit être le nôtre aussi, celui de chacun d’entre nous. Jamais nous ne devons autoriser qui que ce soit à tenir des propos racistes, à faire des jeux de mots douteux, jamais !

Oui, soyons vigilants, les falsificateurs de l’histoire agissent ainsi différentes thèses négationnistes relatives aux événements de la Seconde Guerre Mondiale qui remettent en cause l’existence du génocide et de la Shoah. Ces thèses reviennent sur le nombre de morts et la nature des victimes, elles contestent l’existence même des chambres à gaz ou des camps d’extermination. Pour ces révisionnistes, le nombre de 6 millions de morts serait exagéré, le génocide serait une invention de la propagande

Si c’est le fonds de commerce de l’Extrême Droite, ce parti de l’idéologie de la haine, d’un Jean-Marie Le Pen qui assume ses épouvantables traits d’humour derrière lesquels se cachent des messages d’appel au rejet de l’autre, nous n’avons pas le droit de laisser faire. Le 13 septembre 1987, le fondateur de ce parti déclarait que l’existence des chambres à gaz était un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale.

En décembre 1997, à Munich, il récidive et qualifie encore les chambres à gaz de détail. Pour ces propos, il fut condamné pour banalisation des crimes contre l’humanité, en 1991 puis 1997. Sans gêne il déclarait qu’en France, « au moins, l’occupation allemande n’avait pas été particulièrement inhumaine, même s’il y eut des bavures inévitables dans un pays de 550 000 km² ».

Sur d’autres sujets aussi graves, ses propos sont les mêmes : en mai 1987, il lance que « le sidaïque est contagieux par sa transpiration, par sa salive, son contact. C’est une espèce de lépreux », dit-il !

Tout récemment, en mai 2014, il parle d’invasion migratoire puis il n’hésite pas à lancer que monseigneur Ebola peut régler ça en 3 mois…

« Durafour crématoire, la prochaine fois, on fera une fournée à propos de Patrick Bruel et de Yannick Noah», autant de dérapages d’un leader politique qui doivent nous mettre en garde. De dérapage en dérapage, il distille son venin. Pourtant, le Front national, créé par le père et maintenant dirigé par la fille, est devenu le premier parti de France.

Je ne veux pas m’étendre sur ces thèses, ces théories du complot judéo-maçonnique ou sioniste, mais je voudrais rappeler à tous à quel point nous devons être vigilants, à quel point nous devons garder présents à l’esprit les mots de Bertolt Brecht, « il est encore fécond le ventre d’où a jailli la bête immonde. » Ho oui, il est encore fécond, le terreau des nazillons de tout bord, des empêcheurs de penser et de s’exprimer librement. Il est prompt à se réveiller le chant des intolérants de toutes natures, qui voudraient ne voir qu’une tête et n’entendre qu’une voix.

Et bien, non, nous ne nous tairons pas, nous ne céderons pas aux appels à se replier sur soi-même, à exclure l’autre. Bien au contraire et nous, ici à Château-Thierry, nous avons précisément choisi cette année d’élever la voix. Celle des juifs, des tsiganes, des homosexuels, des handicapés, des dissidents et de toutes les victimes des camps. Parce que, comme l’écrivait Paul Eluard, « si leur voix s’affaiblit, c’est nous qui périrons ».

Si nous célébrons pour la première fois aujourd’hui cet anniversaire de la libération des camps, c’est ce qu’est certainement le dernier anniversaire rond qui compte encore des survivants. Nous avons, avec la municipalité, pris cet engagement d’ouvrir ainsi les commémorations du 70ème anniversaire du 8 mai 1945 et de la fin de la guerre, avec tout ce que signifie un anniversaire aussi marquant.

Le Président de la République célèbrera lui aussi cet anniversaire qui doit repositionner la France face à ses responsabilités envers chacun de ses citoyens. Avant de partir pour la Pologne et Auschwitz, le chef de l’Etat se rendra demain matin au Mémorial de la Shoah à Paris, où il rendra hommage, en présence d’une centaine de survivants des camps, aux 75.000 Juifs de France déportés, sous le régime collaborationniste de Vichy.

Les tragiques événements qui ont meurtri notre pays en ce début d’année nous rappellent des heures tout aussi tragiques. A une époque, on brûlait les livres, aujourd’hui, on a attaqué un journal et on a tué des juifs dans un magasin Casher. L’antisémitisme, l’islamophobie, le rejet des chrétiens, les racines de ce mal sont les mêmes : exclusion, négation de l’histoire et de ses réalités, démagogie et populisme.

L’intolérance gagne du terrain, parce que nous la laissons faire, parce que nous ne sommes pas assez attentifs aux conditions du vivre ensemble et que nous laissons s’effriter les fondements de notre République. Parmi ces fondamentaux républicains, la laïcité doit précisément garantir la liberté de culte, permettre à chacun de choisir sa religion ou son absence de religion.

Il appartient au monde politique de porter ce sursaut républicain pour que les leçons de l’histoire nous permettent de progresser. Mais il appartient à chacun d’entre nous, citoyens, de porter cet enseignement terrible, parce que les survivants disparaissent progressivement et que nous n’avons pas le droit de laisser s’éteindre leurs voix sans prendre le relais. Nous le leur devons et nous le devons tout autant aux enfants de France et aux enfants du monde.

Nous devons lutter sans relâche contre tous les racismes, contre l’antisémitisme et faire en sorte que chaque juif, chaque musulman, comme tout autre citoyen, quelle que soit sa conviction religieuse, vive en sécurité dans notre pays et puisse vivre son culte sereinement.

Oui, portons avec force toutes ces voix pour notre République et pour la France.

En 2015, « pas d’abattement, cultivons l’Espoir. » Oui, l’espoir doit nous animer et je citerai Walter Bassan, président de la FNDIRP, « la lumière de l’espoir scintille dans les yeux des jeunes ». Oui, nos jeunes doivent entendre l’histoire et la mémoire, les connaître pour forger solidement leur citoyenneté. Et, quand la République est en péril, comme ce fut le cas en avril 2002, où le second tour de l’élection présidentielle voyait un candidat Front national risquer d’arriver à la présidence de la République, ils ont su se mobiliser et descendre dans la rue. De la même façon, nous avons vu, après les attentats contre Charlie Hebdo et contre le supermarché casher, que les Français savent se rassembler et manifester quand la menace pèse. L’espoir, nous devons aussi le construire, comme nous devons, en permanence, construire la paix.

Partout lutter contre le chômage, la faim dans le monde pour plus de démocratie. Montrons que la haine est au centre de nos préoccupations. Agissons ensemble et rassemblons-nous citoyens du Monde.

Alors, citoyens du monde, en 2015, utilisons notre voix pour dire notre pensée, pour échanger, débattre et progresser, pour faire reculer l’obscurantisme et la barbarie.

Oui, en 2015, année de la voix, défendons toutes les libertés et en particulier la liberté d’expression. Chacun et chacune d’entre nous, portons les voix de toutes ces victimes des camps pour leur dire que nous ne les oublions pas, mais surtout que nous combattons sans relâche les démons qui ont ruiné leurs vies. Parce que les oublier ferait de nous les complices de leurs assassins, les oublier nous rendrait coupables de déni d’humanité.

Pour 2015 ce sont les voix de l’Espoir, du Vivre Ensemble et de la Fraternité pour tous les peuples que nous devons faire résonner ! Et nous comptons sur vous tous !

Parce que comme le disait Paul Claudel : « on croit que tout est fini, mais alors il y a toujours un rouge-gorge qui se met à chanter. »