Heures supplémentaires et pouvoir d’achat

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La défiscalisation des heures supplémentaires était à l’ordre du jour à l’Assemblée Nationale ce jeudi 28 novembre 2013. J’en ai profité pour rappeler que ce  dispositif devrait être réservé pour les bas salaires et mis en place pour certaines Catégories d’entreprises comme l’artisanat, le commerce, l’agriculture… Par contre il est nécessaire de disposer de chiffres afin de connaître son impact sur le pouvoir d’achat et sur les embauches.

Compte-rendu de la séance :

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de m’adresser tout d’abord au ministre Jean-Louis Borloo qui nous proposait un cadeau. S’il y a eu un cadeau ce matin, monsieur Borloo, c’est celui qui vous a été fait par ce gouvernement, grâce au ministre de l’environnement, Philippe Martin qui, courageusement, n’a pas signé, lui, les droits de mutation à travers les permis d’exploitation du gaz et huile de schiste.

M. Gérald Darmanin. Quel rapport ?

M. Jacques Krabal. Je voudrais, monsieur le ministre, que vous transmettiez mes remerciements au Gouvernement et en particulier au ministre de l’environnement, Philippe Martin, pour sa décision excellente et très courageuse.

La défiscalisation des heures supplémentaires a été abrogée mais il faut se rappeler pourquoi cette majorité a pris cette décision qui s’inscrit dans un objectif de redressement des comptes publics. C’est pourquoi, avant d’aborder le sujet qui nous réunit ce matin, je voudrais également saluer l’initiative du Premier ministre d’entreprendre une réforme fiscale dont les règles seraient plus justes, plus efficaces et plus lisibles, même si nous aurions souhaité que cette proposition intervienne plus tôt.

Les Français attendent une complète remise à plat de la fiscalité.

M. Gérald Darmanin. C’est vrai.

M. Jacques Krabal. Ils attendent plus de transparence et l’évaluation effective et indiscutable de tous les dispositifs qui forment un véritable dédale dans lequel l’intérêt général se perd et les intérêts particuliers prospèrent. Souvenons-nous des exonérations d’impôts, trop nombreuses, qui ont conduit à des déficits de plus en plus importants : de 2007 à 2012, la dette de la France est passée de 1 211 milliards à 1 833 milliards d’euros, tandis que le taux de prélèvement obligatoire passait de 42,1 % à 45 %. Ce n’est pas de la polémique, ce sont des chiffres, ce sont des faits.

Chacun sait que les niches fiscales permettent d’octroyer des avantages à des publics restreints et souvent privilégiés, même si ce n’est pas le cas des heures supplémentaires. Au nombre d’environ 300 en 1981, il est bien de rappeler qu’il y en avait 500 en 2011, même si nous en avons créé quelques-unes.

M. Maurice Leroy. Vingt-deux !

M. Jacques Krabal. Au nom de la transparence, dans le contexte qui est le nôtre et dont il est si difficile de sortir, n’est-il pas temps d’en faire l’inventaire exhaustif pour établir la valeur sociale de tous ces dispositifs ? Le chiffre est là : 150 milliards d’euros !

Qui plus est, ces réductions ne bénéficiaient pas à tous mais seulement à certains. Il en va ainsi du bouclier fiscal qui ne profitait qu’aux plus aisés et qui plafonnait l’impôt à 50 % du revenu fiscal et non à 50 % du revenu total. Là encore, il est bien de rappeler que selon les années, entre 14 000 et 20 000 personnes étaient concernées. Lorsque cet indécent dispositif a fini par être supprimé, je me souviens qu’on avait dans le même temps procédé à une réduction de l’ISF, amputant les recettes fiscales de près de 2 milliards d’euros par an.

En vérité, la baisse des prélèvements obligatoires n’a généré aucun gain de croissance. Les réductions fiscales ciblées par le dispositif des niches n’ont rien produit des effets escomptés. Elles ne se soldent la plupart du temps que par des effets d’aubaine : le bénéficiaire se contente d’empocher une réduction d’impôts, et au diable les baisses des prix, le surcroît de compétitivité et les créations d’emplois !

Du côté des entreprises, la réduction des cotisations patronales sur les heures supplémentaires a été supprimée, d’où un avantage de 1,3 milliard au bénéfice des employeurs. Depuis, toutefois, notre Assemblée a voté la mise en place du crédit d’impôt compétitivité emploi, qui entraîne une baisse des charges sociales pesant sur les entreprises pour un montant de 20 milliards d’euros. L’avantage précité est donc largement compensé, même si je souhaiterais que le CICE puisse être étendu à toutes les entreprises,…

M. Gérald Darmanin. Vous préférez aider les patrons que les salariés !

M. Jacques Krabal. Je vais y venir !

…d’autant que certains préconisaient dès 2011 la suppression des avantages bénéficiant aux employeurs au titre des heures supplémentaires.

Du côté des ménages, la réduction des cotisations sociales a été supprimée et les heures supplémentaires sont de nouveau éligibles à l’impôt sur le revenu ; c’est une réalité.

M. Gérald Darmanin. Vous devriez être heureux que les gens paient des impôts !

M. Jacques Krabal. Je reviendrai sur les conséquences de cette mesure car il ne faudrait pas les sous-estimer ; de ce point de vue, nous n’avons aucune leçon à recevoir !

Toutefois, nous devons examiner en toute responsabilité les problèmes engendrés par la refiscalisation des heures supplémentaires.

M. Gérald Darmanin. Ah !

M. Jacques Krabal. On l’observe tous les jours dans nos circonscriptions : cette mesure s’est traduite par une baisse évidente des revenus nets d’impôts chez nombre de nos concitoyens.

M. Gérald Darmanin. Eh oui !

M. Jacques Krabal. Cette baisse est d’autant plus remarquée que ses effets sont progressifs dans la durée. Ainsi, depuis le 1er septembre 2012, les salariés qui effectuent des heures supplémentaires ont pu constater que le montant net de leur feuille de paie avait diminué.

M. Gérald Darmanin. C’est vrai, grâce à vous !

M. Jacques Krabal. Puis il y a eu l’avis d’imposition sur les revenus de 2013, dont le montant à acquitter a augmenté pour ces mêmes salariés. Et surtout, il y aura l’avis d’imposition sur les revenus de 2014, qui risque d’être tout aussi douloureux.

M. Gérald Darmanin. Grâce à vous !

M. Jacques Krabal. La différence entre vous et moi, c’est que je considère les choses sous tous leurs aspects !

M. Maurice Leroy. C’est un vrai centriste !

M. Jacques Krabal. Par ailleurs, la suppression des avantages fiscaux et sociaux en faveur des heures supplémentaires a pu conduire certains foyers à payer l’impôt sur le revenu, alors qu’ils ne le payaient pas auparavant.

Quoi qu’il en soit, c’est donc bien l’absence de données qui fait le plus défaut et qui alimente de nombreuses craintes. Il semble donc indispensable, monsieur le ministre, que le Parlement puisse disposer d’informations détaillées sur les conséquences de la fiscalisation des heures supplémentaires. Sans ces données, il sera impossible de dresser un véritable bilan.

Si l’on ignore les effets exacts de la suppression de ces mesures, on connaît en revanche le bilan de la défiscalisation, qu’ont montré plusieurs rapports, au premier rang desquels le rapport parlementaire coécrit par le député UMP Jean-Pierre Gorges, chers collègues de l’opposition, dont vous me permettrez d’extraire une autre citation que la vôtre : il y était indiqué que le nombre annuel d’heures supplémentaires n’avait pas connu « de hausse significative », et « qu ’aucune des personnes entendues par les rapporteurs n’a pu démontrer que le dispositif avait suscité directement la réalisation d’heures supplémentaires “supplémentaires” ».

Au-delà de cette analyse, la défiscalisation des heures supplémentaires est un sujet qui doit être examiné sans polémique et sans esprit partisan. Pourquoi ? Parce que les études disponibles nous enseignent que l’exonération de cotisations sociales des heures supplémentaires a eu un impact négatif sur l’emploi. Pour faire simple, elle a consisté à détruire des emplois aux frais du contribuable. Quant au coût de la défiscalisation des heures supplémentaires au titre de l’impôt sur le revenu, il s’élevait à 1,4 milliard d’euros. Au total, la loi TEPA a donc coûté 4,5 milliards à la Sécurité sociale et à l’État.

Par ailleurs, l’exonération d’impôt ne bénéficiait réellement qu’aux ménages qui payaient effectivement l’impôt sur le revenu. La moitié des ménages, qui en sont déjà exonérés, ne tiraient donc aucun avantage de cette mesure.

Rappelons pourtant que les heures supplémentaires ont offert une véritable bouffée d’oxygène pour nombre de foyers noyés dans les incertitudes de leur avenir. Aussi, pour ces foyers, la refiscalisation des heures supplémentaires, loin de n’avoir représenté qu’un manque à gagner, a plus souvent représenté une perte sèche de revenus.

Je suis un élu de terrain et de proximité qui arpente journellement et depuis longtemps sa commune et, désormais, sa circonscription. J’ai toujours pris soin d’être à la disposition et à l’écoute de mes concitoyens. C’est donc en leur nom que je vous tiens ces propos et que je vous rapporte leurs questions, leurs doutes et leurs incompréhensions. Toutes celles et tous ceux qui se sont plaint à moi de la refiscalisation des heures supplémentaires sont issus de catégories à revenus moyens et faibles qui ne s’en sortent pas, bien qu’ils soient en emploi. Pour eux, il serait juste que la réforme fiscale envisagée leur permette de compenser leurs pertes. S’il parait peu raisonnable en l’état de réintroduire le même dispositif, nous ne devons en revanche pas non plus nous interdire de réfléchir à un système qui serait moins coûteux, plus efficace et plus juste…

M. Arnaud Richard, rapporteur. C’est précisément l’objet de notre proposition de loi !

M. Jacques Krabal. …en conduisant par exemple une réflexion sur les salariés ayant de faibles revenus, les petites entreprises, les agriculteurs, les artisans du bâtiment ou encore les ateliers mécaniques.

C’est pourquoi il est indispensable que, pour s’assurer de la tenue d’une telle réflexion, toutes les données soient transmises à notre Assemblée, comme je l’ai déjà demandé plusieurs fois. Cela permettrait d’y voir plus clair et de rejeter un grand nombre de contrevérités.

Vous l’aurez compris, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste est défavorable à la proposition de loi visant à rétablir les avantages liés aux heures supplémentaires même s’il souhaite que le Parlement puisse disposer d’un rapport indiquant les conséquences de la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires et les perspectives de soutien à la compétitivité des petites entreprises et du pouvoir d’achat des salariés.

M. Maurice Leroy. Pour avoir ce rapport, il faut voter la proposition de loi !

M. Jacques Krabal. Jean de la Fontaine écrivait ce vers dans La lice et sa compagne : « Ce qu’on donne aux méchants, toujours on le regrette ». En revanche, nous devons nous réjouir de donner aux plus nécessiteux lorsqu’ils peuvent en profiter.