Vote blanc : des goûts et des couleurs on ne discute pas !

0
1339

Une proposition de loi visant à reconnaître de le vote blanc, déposée par le groupe UDI, était discutée ce jour, jeudi 28 novembre 2013. Je me suis exprimé en ouvrant le débat plus largement sur le devoir de vote et le droit de vote pour tous. Voici mon intervention :

Compte-rendu des séances :

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jacques Krabal. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je ne veux pas m’engager dans la polémique sur les délais d’application du texte, même si c’est un sujet important. Je voudrais parler du fond, voire aller au-delà du fond de cette réflexion sur le vote blanc qui nous occupe aujourd’hui. Pour notre part, la réflexion que nous devons avoir doit concerner également deux points supplémentaires : le droit de vote et, d’une manière générale, l’obligation de vote.

S’agissant du vote blanc, la discussion sur sa reconnaissance n’est pas récente. Sans refaire son historique, je veux seulement rappeler que ce sujet a été abordé plus de vingt fois dans l’hémicycle. Même si nos propos peuvent paraître décalés et dérisoires vis-à-vis des problèmes que rencontre notre pays à l’heure actuelle, le sujet n’est pas si anodin que cela. Il est même important. L’accroissement régulier du nombre de bulletins blancs et nuls ne constitue-t-il pas l’indice d’une imperfection du système électoral et d’un malaise de nos électeurs ? La réponse est très certainement affirmative, si l’on associe à la réflexion l’augmentation conséquente de l’abstention et du nombre de non-inscrits qui, ensemble, portent à 50 % la part de la population qui n’exerce plus son droit de vote. Certes, disposer d’un droit, c’est aussi reconnaître le droit de ne pas s’en servir – je reviendrai sur ce sujet tout à l’heure –, mais cette faible participation conduit à transformer le droit électoral en une mécanique dont l’objectif, qui est la légitimité des élus, se fragilise.

Pourtant, la question de l’autorisation du vote blanc est ancienne dans notre pays : elle est apparue dès la Révolution française, puis en 1913, en 1983 ou en 2003. Nous, élus, nous devons montrer et démontrer qu’il ne faut pas avoir peur de l’électeur. L’électeur n’est pas notre ennemi, il est notre partenaire.

M. Maurice Leroy. Excellent !

M. Jacques Krabal. Nous le représentons et, dès lors, il doit être totalement libre d’exprimer son opinion. Or le vote blanc est une opinion. C’est une opinion forte – d’ailleurs défendue par plusieurs associations –, bien au-dessus de l’abstention puisque l’électeur a déjà fait le choix de se déplacer, ce qui n’est pas anodin. Le vote blanc n’en constitue pas moins un signe de défiance vis-à-vis de l’offre électorale : en votant blanc, l’électeur manifeste qu’il refuse d’adhérer à l’un des choix qui lui sont proposés. C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que le nombre de bulletins blancs ou nuls est souvent plus élevé au second tour d’un scrutin, du fait de la réduction de l’offre politique. En ces temps grandissants de rejet de la politique et du politique, le choix de comptabiliser le vote blanc peut également être un rempart contre l’attirance du vote populiste ou extrémiste. C’est pourquoi il faut quand même aller assez vite, monsieur le ministre.

M. François Sauvadet, rapporteur. Très bien !

M. Jacques Krabal. Lors de la dernière élection présidentielle, plus de 2 millions d’électeurs se sont déplacés dans les urnes sans choisir de candidats, d’après le ministère de l’intérieur. C’est un record en nombre de bulletins – mais pas en pourcentage. Au-delà des échéances électorales nationales ou locales, je souhaitais également vous rappeler qu’au sein même de notre assemblée, nous avons la possibilité de nous abstenir et que ce vote est même publié au Journal officiel.

M. Maurice Leroy. Eh oui !

M. Jacques Krabal. Pourquoi en serait-il autrement pour les scrutins nationaux et locaux ?

Le vote blanc demeure également un objet flou parce que le législateur n’en a donné aucune définition précise. Ce dernier ne le considère d’ailleurs pas comme une expression politique réelle au même titre qu’un vote pour un parti, un candidat ou pour une liste. Le vote blanc appartient en effet à la catégorie des suffrages dits « non exprimés », tout comme le vote nul. D’ailleurs, le code électoral ne précise pas la différence qui existe entre un bulletin blanc et un bulletin nul. L’article L. 66 de ce code établit seulement qu’ils constituent tous deux des suffrages non exprimés. Je me satisfais donc de l’adoption en commission des amendements des groupes écologiste et SRC visant à mieux définir ce vote blanc en reconnaissant les enveloppes vides comme bulletins blancs. En effet, se déplacer dans un bureau de vote muni soi-même d’un papier blanc n’est pas sans poser certains problèmes. Aussi cette nouvelle définition proposée par le nouveau texte de loi va-t-elle clarifier la pratique du vote blanc, comme le réclament de nombreuses associations, le Parti du vote blanc, le Vote blanc ou encore Blanc c’est exprimé.

Mais au-delà de ce texte que nous soutenons, la notion du droit de vote devrait être indissociable de celle du devoir de vote. Pour nous, un droit, c’est aussi un devoir. Oui, le droit de vote est partout dans le monde un symbole de conquête démocratique et une formidable victoire pour la liberté. Toutefois, en s’érodant, ce droit devient alors une arme qui se retourne contre la démocratie et contre la liberté. Mettons tout en œuvre pour éviter ce risque grandissant en associant au droit de vote le devoir de vote !

Mais l’obligation de vote ne peut être mise en œuvre qu’après la reconnaissance du vote blanc. Parce que mettre en œuvre l’obligation de vote pour tous les citoyens, c’est également renforcer la citoyenneté, aujourd’hui fortement ébranlée. Les critiques du politique se font de plus en plus nombreuses, les Français sont désabusés. Mais le rejet politique est souvent accompagné du rejet de l’autre. L’origine de ces attitudes est confuse et multiple, mais elle comprend, entre autres, le repli sur soi, la montée des égoïsmes dus à la fois à la crise et au chômage. Si nous, les élus, avons notre part de responsabilité dans la situation de notre pays, n’hésitons pas non plus à interpeller la responsabilité de chacun des habitants ; rappelons-nous ce que déclarait John Fitzgerald Kennedy : « Avant de demander ce que le pays fait pour toi, pose-toi la question de savoir ce que tu fais pour le pays ». Aujourd’hui, certains de nos concitoyens sont complètement déresponsabilisés et ne se sentent plus appartenir à la communauté citoyenne. De ce fait, ils ne font preuve d’exigence que vis-à-vis des autres et certainement plus à leur égard. Il faut absolument retisser le lien citoyen, de nos jours pour le moins distendu. C’est la responsabilité accrue des habitants qui pourra reconstruire de la citoyenneté. L’obligation de vote pourrait être un des outils pour atteindre cet objectif. Oui, monsieur le ministre, le groupe RRDP tient à cet engagement qui contribuerait à refaire une citoyenneté pour tous. Obliger à participer aux opérations de vote de son pays ne serait-il pas un signe fort d’appartenance à la communauté nationale ? Droit de vote, vote blanc mais aussi devoir de vote sont liés à la notion de responsabilité de l’être humain. Abraham Lincoln écrivait même qu’« un bulletin de vote est plus fort qu’une balle de fusil ».

Le devoir de vote devrait s’accompagner de la simplification de la procédure d’inscription sur les listes électorales, inscription qui devrait être systématisée.

Enfin, l’obligation de vote doit être l’occasion d’une décision politique majeure : celle d’étendre le droit de vote aux citoyens étrangers – sous réserve du respect de quelques règles à définir – comme l’ont déjà fait de nombreux pays. Permettre le droit de vote à celles et à ceux qui vivent chez nous dans notre pays sans en partager la nationalité est un engagement que nous devons honorer.

M. Sergio Coronado. Très bien !

M. Jacques Krabal. Sans polémiques, reprenons ensemble la réflexion sur ces deux sujets.

Tout ce que nous proposons ne réglera certes pas tous les problèmes, mais vote blanc comptabilisé, droit de vote pour les étrangers et inscription facilitée sur les listes électorales seraient autant d’actions qui contribueraient à rassembler, à responsabiliser et à développer le vivre ensemble. Voilà des valeurs auxquelles le groupe RRDP tient particulièrement, et je sais que beaucoup parmi vous les partagent.

Des goûts et de couleurs on ne discute pas. Qu’il en soit de même pour les élections. Le choix doit appartenir aux électeurs. Jean de la Fontaine écrivait dans la fable Le cierge : « Tout en tout est divers : ôtez-vous de l’esprit / Qu’aucun être ait été composé sur le vôtre. ».

Le groupe RRDP, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, votera en faveur de ce texte, estimant qu’il apporte une première pierre à la modernisation de la vie politique que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDPSRC.) 

M. Sergio Coronado et M. Michel Piron. Très bien !